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LE BERGER RECONNAISSANT – Conte de Noël inclusif et politique

Pierre-Yves Honet, Membre de la CVX à Charleroi, professeur de religion Catholique /Éducation à la Philosophie et Citoyenneté,  a écrit ce petit conte, qu’il nous partage…

La polémique autour de la crèche de Noël, les diverses interventions publiques a fait réfléchir le professeur de religion et d’Éducation à la Philosophie et Citoyenneté (les deux se rencontrent dans les écoles catholiques) que je suis.

Des prises de paroles théologique m’ont souvent bien nourri, mais j’ai plus de réserve devant l’un ou l’autre points de vue de chrétiens qui « politisaient » la question, parfois en utilisant la religion chrétienne pour discréditer un adversaire politique… L’utilisation de la religion à des fins politiques partisanes fait vite courir le risque de tomber dans l’anathème et le manichéisme.

Alors m’est venu ce conte de Noël…

LE BERGER RECONNAISSANT

Conte de Noël politique et inclusif

Il était une fois un SDF. Son nom, pas plus que son visage, ne disait rien à personne : ne perdons pas de temps à le nommer et le décrire. Il végétait et dépensait sa maigre allocation sociale en cames qui le shootaient. Il volait aussi, et mendiait. Les assistantes et assistants sociaux lui répétaient : « Vous savez, monsieur, … il est en est qui s’en sortent… il y a des cures de désintoxication… des formations… des entreprises de réinsertion par le travail, des services d’aide aux personnes… ». Mais rien ne percutait : il prenait les billets, heureux de pouvoir ce soir-là acheter de la meilleure came.

Un jour, le maïeur (et président d’un important parti de gauche) visita le CPAS de la Ville…  L’homme politique cravaté de rouge prit la parole. Il évoqua l’importance de la mission des travailleurs sociaux, du filet de solidarité qui empêche les citoyens laissés au bord du chemin de perdre complètement pied, du danger de la droite libérale qui veut détricoter cet acquis social… Il promit que son parti ne laisserait jamais cela se faire, puis serra des mains. Il demanda son prénom à notre homme : ses copains de déglingue l’avait affublé du surnom de Poppy-la-Loose, mais il s’appelait Samuel. Le maïeur lui serra la main : « Samuel, sachez que vous pouvez compter sur nous pour vous défendre et vous assurer une dignité. Vous avez une place dans la société. »

Et sa vie continua… vie ?… déglingue… les doses augmentaient semaines après semaines – et les billets reçus des services sociaux disparaissaient bien vite… La mort glissait vers lui, pourtant quelque chose en lui ne s’en satisfaisait pas (qui se satisfait de mourir bousillé ?) : « Me voilà bien mal pris », se disait-il. « C’est quand même une misère que de vivre ainsi : esclave, incapable d’agir vraiment, tantôt abruti, tantôt tremblant de manque ». « Saloperie de vie », se disait-il souvent… Parfois c’était « Ah ! si ma vie était autre »… Et ainsi il oscillait entre colère, abandon et attente vague…

Un autre jour au soir, dans un abri de nuit, il vit un homme politique qui ferraillait sur un plateau télé avec des adversaires politiques. C’était le président du parti de droite. Sa cravate était bleue. « Je crois à la valeur du travail », répétait-il. « Un assisté perpétuel ne vit pas une vie digne. Nous ne croyons pas aux déterminismes sociaux, mais à la liberté de l’individu qui peut prendre en main sa vie et se bouger : quand on veut on peut et on peut vouloir. » En face du politicien, Samuel reconnut le politicien à la cravate rouge qui l’avait appelé « Samuel ». Il tenait le discours qu’il avait entendu. Un autre, cravate plus rouge encore parlait du manque de solidarité des plus riches et d’une société égalitaire qui un jour éclorait grâce à la révolution.  Un leader populiste français, invité ce soir-là pour découvrir la politique belge, répétaient que les petites gens en avaient assez que la classe politique d’en haut parlent pour eux en croyant tout mieux savoir.

« J’aimerais parvenir à vouloir ». Au matin, il se souvint d’une autre phrase prononcée la veille sur le plateau (mais il ne savait plus qui en était l’auteur) : « Je pense, comme le président de la France, que pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue. »

De l’autre côté de la rue passaient des bergers. Depuis quelques années, des métiers anciens avaient été revitalisés au gré des préoccupations de développement durable, d’économie de circuits courts et de relocalisations diverses. Terrils, prés et terrains partagés permettaient la pâture. Le métier de pâtre ne payait guère (le titre-service régnait dans la profession), mais c’était mieux que rien et les bergers étaient utiles et appréciés. Certains d’entre eux accédaient au statut d’indépendants : souvent les plus fiables et les plus bosseurs. Les gros propriétaires d’ovins les recherchaient en priorité et savaient payer le prix vu la pénurie. Il arrivait même que certains deviennent propriétaire de bestiaux.

Samuel s’en sortit…

Le lendemain, il voyait son référent au CPAS : « Vous pensez vraiment qu’une cure de désintoxication est possible pour moi ? qu’elle peut réussir ? »  Au bout de deux ans il était berger indépendant. Devenir propriétaire, puis gros propriétaire, ne semblait pas hors de portée. Un salariat avec avancement possible auprès d’un organisme de contrôle était aussi tentant. La fonction publique n’était pas à exclure.

Mais l’histoire ne trouverait pas une morale ultime si elle s’arrêtait là…

Un soir de Noël un étrange tintamarre d’anges musiciens éveilla Samuel sur le terril Saint Théodore au milieu de ses bêtes : non loin de là il vit un attroupement (si j’ose dire) de bergers réjouis. Il s’approcha et découvrit qu’ils s’étaient pauvrement regroupés autour d’une crèche où dormait un nouveau-né entouré de sa mère, son père, un âne et un bœuf. Trois gros propriétaires de moutons, assis sur des lamas, étaient venus, les mains remplies d’or, de myrrhe et d’encens.

Samuel s’attrista : il aurait aimé y rencontrer également ses anciens compagnons de déglingue, toxicos et sdf, mais ils n’étaient pas là. « Si je ne m’en étais pas sorti, je ne serais pas là non plus », se dit-il… « Je cuverais mon vin ou ma dose : les anges auraient beau faire tout le tintamarre du monde… un berger a su développer une oreille fine et attentive… ». En s’approchant du visage de l’enfant, il vit un carrousel d’images qui y défilaient. C’étaient les visages de ses anciens compagnons d’infortune. Ils ne regardaient plus dans le vide noir, mais étincelaient de lumière et se mêlaient au visage du nouveau-né…

Jésus était revenu au dernier jour et menait enfin la création à sa perfection. Le berger pourtant retourna à ses bêtes.

Beaucoup diront que le récit ne dit pas la vérité et que tout cela ne fut qu’un rêve de Samuel qui dormait au milieu de ses moutons.

En tout cas, le lendemain, il crut se rappeler qu’un ange lui avait donné une dernière recommandation avant qu’il ne quitte les lieux : « N’oublie tout de même pas, avant que le Ciel s’ouvre à toi, de remercier chacun de ceux qui t’ont permis de voir ce que tu as vu, de vivre ce que tu vis. »

Au marché de Noël, il croisa le maïeur à la cravate rouge qu’il remercia pour sa politique : elle lui avait donné le temps nécessaire pour sortir de sa déglingue et permis de croire en la solidarité humaine. Devant l’échoppe voisine, se tenait le leader populiste français qu’il remercia aussi. Il lui avait fait découvrir que les petits peuvent se regarder avec fierté. Il n’oublia pas de remercier le leader de droite cravaté de bleu qui sirotait un vin chaud non loin : « Merci aussi à vous, vous m’avez convaincu qu’il est possible de prendre sa vie en main et que quand on veut on peut. Il a fallu un peu de temps dans ma vie pour que ma volonté ait intérieurement cheminé pour que je puisse l’entendre, mais, au moment favorable, je vous ai entendu. »

Samuel remercia, tout à leur gauche, le quatrième homme politique dont il avait suivi le ferraillage. Il s’engagea à n’éluder aucun impôt et à ne pas s’exiler fiscalement s’il devenait un très riche propriétaire. Il le remercia également pour son espérance en ce grand soir où tous les humains seront d’égale richesse : un jour certainement il viendra. À moins, ajouta-t-il malicieux, que ce ne fût un petit matin. 

Enfin, un échevin vert local (à vélo et en short), eut droit aussi sa gratitude… Sans lui pas de berger… pas de relocalisation… pas de retour des anciens métiers… et sans berger pas de témoins du futur retour de Jésus.

 

Post scriptum

Une histoire a toujours ses failles et ses zones d’ombre.

Plusieurs à qui j’ai raconté celle-ci m’ont signalé que manquait dans l’histoire le Président de Parti à la cravate turquoise…

Samuel ne m’en a pas parlé, mais à y réfléchir, je pense qu’il devait s’agir, dans le débat télévisé, de l’auteur de la citation du Président Macron invitant à traverser la rue pour trouver un travail… Mais Samuel, assez aviné ce soir-là, n’avait pas tout capté – d’où des lacunes dans sa narration.

Ce Président était le fondateur d’un large réseau de troupeaux ovins et avait joint, de façon engagée, les actes aux paroles qu’il avait peut-être prononcées lors du débat télévisé. Débat qui avait participé à la bascule de vie de Samuel.

En effet, il avait été le premier à lui offrir une prestation rémunérée de berger et l’avait régulièrement embauché par la suite. Samuel lui avait souvent exprimé sa reconnaissance.

Peut-être même était-il venu, incognito et déguisé, sur un lama à la crèche…